L'épopée amoureuse et musicale de Lucie Delarue-Mardrus et Germaine de Castro dans les cabarets parisiens

Afin de vous raconter cette histoire « music-hallement » intéressante. Il faut tout d’abord que je vous parler du personnage principal : Lucie Delarue-Mardrus, une autrice très en vogue durant la première moitié du XXe siècle.
Elle est principalement connue pour son roman Ex-voto, ses poésies, et ses amours saphiques, notamment avec la sulfureuse Natalie C. Barney. De cette liaison, elle en tirera un recueil de poèmes, Nos secrètes amours, puis un roman, l’Ange et les pervers. Artiste multiple, elle est poétesse, sculptrice et peintre. Mais saviez-vous qu’elle est aussi musicienne ?
Une rencontre
En novembre 1932, Lucie rencontre par l’intermédiaire d’une de ses ex-amantes – en la personne de Valentine Ovize -, la cantatrice Germaine de Castro, dont elle tombe rapidement amoureuse. Elle est charmée par cette femme « odalisque au visage défait », impassible et à la voix puissante, déchirante. A cette période, Germaine est une talentueuse soprano, remarquée dans ses récitales (depuis 1906) où elle y interprète, entre autres, du Schumann, Gounod, Fauré, Ravel…
« Maintenant j’aime – tendrement – une femme – une artiste – une musicienne… juive. Ma tendre et merveilleuse amie, elle est la musique, la vérité, la vie. (…) Toutes ces choses sont écrites sur sa figure. »
Lucie Delarue-Mardrus

Du classique au Music-hall
C’est au début de l’année 1934 que la vie artistique de Germaine bascule. Souhaitant se réinventer, elle décide de s’embarquer au music-hall avec l’aide de sa nouvelle amie. Elle débute d’ailleurs d’une drôle de manière. Un soir, elle est appelée à remplacer le chanteur Jean Lumière pour quelques jours à l’Européen. Connaissant alors un certain succès, son engagement est prolongé par le directeur du lieu.

« J’ai cherché un autre public, et je me suis aperçu que le public le plus sincère, le plus avide de musique (…) on le trouvait au music-hall »
Germaine de Castro
Pour façonner un répertoire sur mesure à sa protégée, Lucie, en bonne musicienne, lui écrit et compose plusieurs chansons : la Berceuse de l’adieu, l’Amour valse, Sans y penser, C’est la vie, la Belle chanson, Dire je t’aime, Tentation, Tes yeux, Être avec toi… Elle jouera également de ses contacts pour permettre à Germaine de se produire dans des établissements.

Durant plus d’un an, elles passeront ensemble, en duo, à la radio, enregistreront des tests pour un disque chez la marque Columbia (qui est finalement refusé) et se produiront dans des salles réputées, telles que celle du Petit Casino, Bobino, l’Européen, l’ABC ou encore au Stage B de Montparnasse.
A la fin de l’année 1935, en parallèle de son divorce avec le peintre Paul de Castro, Germaine change de nom et adopte celui de « Victoria ». Un pseudonyme qui fait directement référence au personnage de Victoria Gomez, dite Torie (qu’elle a d’ailleurs elle-même inspiré), provenant du roman de Lucie : La femme mûre et l’amour. Elle ouvre également à la même période un bar-restaurant nommé « Chez Victoria », dans le quartier de Monceau. Cependant, la chanteuse comprend vite qu’elle n’est pas invitée à se produire au music-hall pour son talent, mais pour la notoriété de Lucie. Les relations entre les deux femmes se détériorent, bien que Lucie reste très amoureuse de Germaine.

« Je ne suis pas heureuse avec mon amie. Depuis six mois, je me crève pour elle, à faire tout ce qu’elle veut (…), avec mes chansons composées pour sa voix magnifique. J’ai ensuite monté son numéro dans une boîte de nuit. Tous mes amis journalistes ont écrit des articles à son sujet. (…) Elle ne sent pas cela, ce que j’ai donné pour elle, mon nom, mon influence, ma personne et ma fatigue. (…) Mais demain, je recommencerai. Je l’aime encore. »
Lucie Delarue-Mardrus
En 1939, par nécessité financière (Lucie étant ruinée), Germaine de Castro finit par épouser une de ses anciennes connaissances, le comédien David Evremond. À la même période la guerre éclate. Durant le conflit, l’écrivaine aide grandement Germaine. Cette dernière, étant d’origine juive, est alors activement recherchée par la gestapo. Elle est d’ailleurs sauvée d’une rafle par Lucie.
À la mort de Lucie Delarue-Mardrus en 1945, Germaine, qui avait pourtant manifesté peu d’affection pour son amie durant toute la durée de leur relation, éprouvera quelques remords et la pleurera…
Naïs Nolibos